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17.12.2019
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Les seniors, ces incompris de la mode

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17.12.2019

Quand de nombreuses communications de marques sont focalisées sur les millennials et leurs envies, toute une catégorie de population est éclipsée de l’échiquier mode : les seniors. Et pourtant ils consomment, puisque selon Kantar, les plus de 55 ans (qui représentent environ un tiers des Français) sont à l'origine de plus d'un achat sur deux en grande distribution. Des quinquas aux sexagénaires, jusqu’aux plus de 80 ans, ces générations "n’ont aujourd’hui pas les mêmes comportements que nos grand-mères à leur époque, décrit Christophe Gaigneux, directeur général de Damart. Elles souhaitent être traitées comme une personne normale, l’âge n’étant pas un critère dans leur tête. Mais leurs attentes sont fortes en matière de morphologie, de confort, et surtout de look moderne". Or, les acteurs dits historiques de la mode senior sont nombreux à souffrir. Alors, comment se redessinent leurs comportements d’achat et quelles sont les clés pour les (re)séduire ?


L'actrice et mannequin Lauren Hutton, 76 ans, a mené la campagne de l'hiver 2018 de la marque Anthropologie, nouvellement débarquée en France. - Anthropologie


Le constat est clair, le budget mode des plus de 60 ans s’amenuise. Selon des chiffres communiqués par Kantar Worldpanel, l’enveloppe financière qu’ont consacré les Français en 2018 à la mode (textile, chaussures, accessoire) a baissé de 10 euros chez les 60-69 ans, s’établissant à 549,5 euros annuels. Il a aussi reculé de 30 euros pour les 70-79 ans (432,1 euros), mais s’avère en hausse chez les 80 et + (499,2 euros). La moyenne, tous âges confondus, s’établissant autour de 800 euros par an.

Le blues des marques dites « seniors »

Conséquence directe, plusieurs acteurs traditionnels estampillés mode senior sont à la peine. L’an dernier, le groupe breton Beaumanoir a tout bonnement décidé de stopper l’activité de son enseigne Scottage, dédiée aux femmes de plus de 50 ans, fermant au passage une centaine de boutiques. Des véadistes historiques connaissent également de grandes difficultés : d’abord le groupe nordiste Movitex, propriétaire de la marque Daxon (spécialiste de la mode senior par correspondance), qui a engagé en septembre dernier un plan social touchant 72 de ses 119 salariés. En cause ? Une chute des ventes de 14 % en 2018, "dans un secteur du textile-habillement et de la vente à distance en décroissance". Mais aussi la marque Afibel, du groupe Damart, dont les pertes s’aggravent.

Citons également les mauvais bilans financiers de Riu Paris (ex-Jacqueline Riu) dont le chiffre d’affaires a baissé de 8,7 % entre 2017 et 2018 selon Société.com, soit la même chute connue par Caroll sur la période. Des marques qui pour autant essaient de moderniser leur image et leur offre, comme par exemple 1.2.3 (groupe Etam), rebaptisée Maison 123 pour tenter de se relancer.

Arbitrages sur le porte-monnaie mode



Mélanie Vinçot, business development manager en charge du secteur mode chez Kantar Worldpanel, pointe une différence d’usage chez les consommateurs à mesure que l’on avance en âge. "Le budget mode est assez élevé pour les 60-69 ans par rapports aux âges supérieurs : leur pouvoir d’achat est encore important, car ils ne sont pas tous à la retraite, restent très actifs et possèdent une double garde-robe (travail et loisirs)." Le comportement d’achat change réellement quand on sort du monde du travail. "Les habitudes sont différentes, et ces personnes achètent moins mais plus cher", poursuit-elle.

Lorsque les finances sont délicates, le poste de dépenses textile-habillement demeure souvent le plus facile à couper. "Dans un contexte économique compliqué pour le marché du prêt-à-porter, la réforme des retraites a aussi impacté le budget des plus de 60 ans, qui réalisent des arbitrages sur leur budget mode, observe Julien Coquet, directeur retail de Christine Laure. Néanmoins, le pouvoir d’achat reste tout de même important chez de nombreux retraités." 

Damart et Monoprix parmi les chouchous



Les plus de 60 ans se rendent de plus en plus dans les chaînes de prêt-à-porter non spécifiquement ‘dédiées’ à elles. "Le confort, c’est le nouveau cool, et plusieurs de ces marques qui brandissent cette qualité réussissent à séduire plusieurs âges, comme Uniqlo, Arket ou Massimo Dutti", livre Elisabeth Prat, directrice du pôle mode au sein de l’agence de tendances Peclers, qui a mené une étude intitulée ‘Les Silvers, le nouvel âge d’or’. "Il ne faut pas séparer les générations, mais les mixer et créer des échanges, en arrêtant de catégoriser les âges. Attention aux marques qui montrent des renoncements en termes de style ! », met-elle en garde.


Damart veut parler à toute la famille - Damart/Facebook


Côté enseignes, Kantar nous dévoile le top 3 en dépenses mode de ces générations : les 60-69 ans placent sur le podium les grands magasins Galeries Lafayette, la chaîne spécialisée Camaïeu, et les supermarchés Leclerc ; tandis que Damart, Monoprix et Leclerc arrivent en tête chez les 70-79 ans, et qu’on retrouve le trio Galeries Lafayette, Monoprix, et Damart pour les 80 ans et plus. Armand Thiery "qui ne fait pas de bruit mais opère une communication très forte auprès de sa cible", et Decathlon, "qui est la seconde enseigne textile en France", tirent également leur épingle du jeu, pointe Mélanie Vinçot.

Le cas Damart, entre volonté d’attirer les plus jeunes et de conserver ses clients historiques



Bien que plébiscité par les seniors, Damart, qui a vu ses ventes se contracter de 4,8 % en 2018/19, doit redoubler d’efforts pour rester compétitive : la marque née il y a 65 ans, dont la cliente a en moyenne 70 ans, a entamé sa modernisation pour rajeunir sa cible. Cela passe par des collab’ avec des créateurs mais aussi par une vaste campagne cette saison pour mettre en lumière la technicité de ses produits (et non son style).

"Nous recrutons de plus jeunes clientes, de 35-40 ans, grâce au web et à l’offre thermolactyl, expose Christophe Gaigneux. Mais il y a une difficulté à parler à toutes les cibles. Une des réponses, c’est la segmentation des offres selon le canal de vente : le catalogue draine une clientèle qui vieillit mais reste importante (les septuagénaires et plus), le web est une vitrine pour attirer les plus jeunes (50 ans de moyenne d’âge), et les boutiques ont un statut intermédiaire (autour de 60 ans).

Une communication difficile



Livrer le bon message aux seniors, qui sont peu ciblés par les labels de mode généralistes, reste ardu. Selon Mélanie Vinçot (Kantar), "les marques communiquent encore mal auprès de cette population, surtout les 60-69 ans d’aujourd’hui. Ils sont encore au travail, sportifs, modernes… ". Mais aussi connectés et voyageurs. "La femme aujourd’hui tout juste retraitée a travaillé par le passé et avait un statut social qu'elle veut continuer à afficher, renchérit Julien Coquet, ce qui était moins le cas des générations précédentes."

Or, si en France les discours sur la diversité s’intensifient, à propos du genre, des origines ou des morphologies, celui sur l’âge est le moins développé, constate Elisabeth Prat de Peclers. "Il reste du chemin à faire. Notamment en ce qui concerne la représentation. S’il y a peu ou pas de modèles, alors cette catégorie d’âge est mal servie. Ces femmes ne veulent pas faire trop jeune, mais n’aiment surtout pas se vieillir."

La spécialiste des tendances déplore que les femmes de 50 à 70 ans soient sous-représentées, car les mannequins dits « seniors » ont soit la petite quarantaine (Mango et Zara commencent à montrer des tops de cette génération), soit s’avèrent être des personnes très âgées comme Iris Apfel (98 ans) qui apportent surtout un décalage dans le monde du luxe. "La réponse en mode n’est pas très développée pour elles. Sur les sites destinés aux seniors, on voit des vêtements au style parfois assez vieux portés par des femmes jeunes. On ne trouve pas l’inverse", assène Elisabeth Prat.


Lucille Renié et Christine Lombard, anciennes journalistes sexagénaires, viennent de publier l'ouvrage Chic !, où elles mettent en scène leur garde-robe. - Olivier Jacquet


Quand le corps change, le conseil est bienvenu



Pour apporter des réponses pratiques aux aînées, les ex-journalistes de mode Christine Lombard et Lucille Renié ont tout simplement décidé d’écrire un livre. Le guide de style « Chic ! », qui vient de paraître aux Editions du Cherche-Midi, est un ouvrage garni de photos de looks, qui conseille les femmes de 50 ans et plus pour se constituer une garde-robe idéale. "On ne va pas se mentir, il arrive un âge où l’on ne peut plus tout se permettre et où certains de nos vêtements sont mieux sur nos filles. Mais la nature est bien faite, car c’est aussi l’âge où l’on a envie d’aller à l’essentiel et de ne plus de compliquer la vie", introduisent les deux femmes en préambule.

Si l’on reste pragmatique, la silhouette se transforme au cours de la vie. "Prendre de l’âge, c’est aussi monter en taille, une évolution liée à la ménopause qui reste totalement taboue, regrette Elisabeth Prat. Et les marques mainstream n’y sont pas toujours sur le fitting, comme chez Zara par exemple".

Pour se démarquer, les enseignes ciblant les seniors brandissent cet argument du produit adapté à la morphologie. "Elles cherchent des vêtements de qualité et un vrai confort : il faut que le style soit compatible avec leur physique, nuance Julien Coquet. Christine Laure a un passé industriel et se focalise sur le bien-aller. C’est LE point non négociable, et la mode vient ensuite. Notre idée est de concevoir un produit pérenne qui se décline en une large gamme de tailles, du 38 au 52. C’est essentiel aujourd’hui."

Cultiver la proximité



La qualité de la relation client s’avère être le second point clé pour cette catégorie de population. C’est-à-dire recevoir un conseil avisé. "La cliente senior a besoin de quelqu’un qui sait, à l’heure où elles sont pourtant de plus en plus informées, parfois davantage que les vendeurs", poursuit celui qui insiste sur la formation des équipes. "C’est ce qui nous sauve chez Christine Laure, le fait d’avoir une clientèle extrêmement fidèle. L’année a été un peu compliquée, les ventes ont suivi la tendance baissière du marché. Dans cette période difficile, on essaie tous de recruter un peu plus large, mais ce n’est pas prioritaire pour nous, car on ne veut pas perdre celle qui vieillit avec l’enseigne et dépense beaucoup depuis longtemps." Cette année, le parc d‘environ 150 magasins a accueilli sept nouveaux affiliés, des ex-Scottage.

Chez Maison 123, on explique que les réseaux sociaux sont aussi un axe de travail à ne pas négliger en matière de communication. L'enseigne constate que les clientes senior sont très présentes sur ces plateformes, même si elles ne sont pas "actives" et commentent peu. En revanche, elles se rendent par exemple en magasin en montrant un post Facebook de la marque.

Movitex, malgré les lourdes difficultés, a quant à elle choisi l’atout de la proximité physique pour tenter de redynamiser son activité, en allant à la rencontre des seniors, en misant sur les petites municipalités dans lesquelles il installe une boutique-café temporaire présentant l’offre Daxon, en créant aussi du lien social.

Et demain ?



Dans dix à vingt ans, un tiers des Français seront âgés de plus de 60 ans. Soit une part colossale de consommateurs à contenter. Si la femme de 60 ans aujourd’hui se sent et se perçoit comme ayant 12 ans de moins que son âge réél - selon Peclers -, c’est bel et bien l’imaginaire que l’on cultive de soi-même qui oriente nos choix. Sur un marché de l’habillement en berne, les marques spécialisées auront toujours leur carte à jouer si elles prennent en compte les nouveaux désirs des néo-seniors, tandis que les acteurs et labels généralistes se doivent de leur offrir une visibilité en termes d’image, si elles ambitionnent de les séduire ouvertement.

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