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28.03.2019
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Diversité : face aux polémiques, les maisons de luxe mettent en place des garde-fous

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28.03.2019

A l’heure de la globalisation et de la montée en puissance des réseaux sociaux, l’industrie du luxe doit revoir radicalement son modèle de business en tenant compte plus que jamais de la diversité. Accusées de comportements racistes mais aussi parfois de désinvolture face à des thèmes délicats comme le suicide, plusieurs griffes ont été mises à l’index récemment et contraintes de s’amender.


Ce look "blackface" de Gucci n'avait suscité aucune réaction lors du défilé en février 2018 - © PixelFormula


Leurs réactions rapides et l’annonce de différentes mesures pour éviter à l'avenir de tels écueils témoignent d'un profond changement d'attitude dans le secteur. Ainsi le 18 mars, Gucci a lancé le programme "Gucci Changemakers". Une série de mesures, « qui nous permettront d’investir des ressources critiques pour créer des espaces fertiles de croissance commune, en stimulant et soutenant de manière toujours plus efficace la confrontation interculturelle avec les communautés auxquels nous nous relions, spécialement celle afro-américaine », a déclaré à cette occasion le PDG de la marque phare du groupe Kering, Marco Bizzarri.


Gucci, Moncler et Prada face au scandale du blackface

Si la maison a donné un grand coup d’accélérateur à ce projet, c’est en réaction aux accusations de racisme dont elle a fait l’objet le mois dernier pour avoir commercialisé un pull-over évoquant un "blackface", cette caricature de l’époque coloniale exagérant les traits des personnes noires. Un épisode qui lui a valu des menaces de boycott de la part de plusieurs personnalités afro-américaines, tel le réalisateur Spike Lee. Or, le directeur artistique de Gucci, Alessandro Michele, s’était déjà fait épinglé en septembre 2017 pour avoir copié un blouson emblématique du créateur et tailleur de Harlem, Dapper Dan... Depuis, la griffe a multiplié les collaborations avec le styliste afro-américain, impliqué désormais en première ligne dans le projet Changemakers.

La griffe Moncler aussi avait été pointée du doigt en 2016 pour un blouson et des accessoires décorés d’un blackface, s’excusant et retirant aussitôt ses produits du marché. Plus récemment, en décembre, c’est Prada qui s’est retrouvée sous les projecteurs après avoir introduit sur le marché une figurine noire aux grosses lèvres rouges, qui a fini par être retirée de la vente sous la pression des médias sociaux. « La ressemblance de nos produits au blackface n'était pas du tout intentionnelle, mais nous reconnaissons que cela n'excuse pas les dommages causés. Désormais, nous nous engageons à améliorer nos formations à la diversité et nous allons créer immédiatement un conseil consultatif pour guider nos efforts en matière de diversité, d'inclusion et de culture », a déclaré dans la foulée le groupe de mode italien.
 
Le 13 février, Prada a nommé à la tête de ce conseil, en tant que coprésidents, l’artiste et activiste de Chicago Theaster Gates, qui présente actuellement sa toute première exposition personnelle française à Paris, au Palais de Tokyo, et la réalisatrice et productrice Ava DuVernay, première femme afro-américaine nommée pour un Golden Globe de la meilleure réalisatrice en 2014 avec son film Selma. De son côté, LVMH vient de signer les normes mondiales de conduite contre la discrimination de la communauté LGBTI en entreprise promulguées par l’ONU, complétant une politique contre la discrimination et pour le respect de la singularité initiée il y a plus de dix ans. A l’occasion de la signature de cette charte, le groupe de luxe a organisé le 13 mars dernier une vaste rencontre-événement sur les thèmes de la diversité et de l’inclusion au sein de son siège de l’avenue Montaigne.
 
« L’industrie du luxe est en pleine transition. Pendant trente ans, les griffes ont misé sur l’exclusivité, tout en essayant de nous convaincre que leur produit était le meilleur. Aujourd’hui, cela ne marche plus et le moindre faux-pas peut être fortement puni. Les jeunes ne lisent plus et ne se cultivent pas comme autrefois. Les marques sont devenues pour eux une source d’inspiration. C’est pourquoi leurs réactions, face à telle ou telle initiative, peuvent être marquées par un caractère émotionnel extrêmement fort », observe Michael Jaïs, le CEO de Launchmetrics, spécialiste de l’e-réputation pour le secteur de la mode et du luxe, qui enseigne aussi à Sciences Po.
 

L'événement Diversité/Inclusion organisé à Paris par LVMH le 13 mars - Copyright Nora Houguenade


Ces réactions épidermiques peuvent prendre des proportions inattendues, comme dans le cas de Dolce & Gabbana, qui a subi les foudres des consommateurs chinois en novembre dernier à la suite de vidéos jugées racistes et sexistes, que la marque avait diffusées pour promouvoir un grand défilé à Shanghai. Un mannequin asiatique tentait de manger des plats italiens avec des baguettes tandis qu’une voix d’homme se moquait d’elle. Non seulement la griffe a été contrainte à s’excuser, mais elle a dû annuler son événement, y perdant plusieurs millions d’euros, et s’est vu boycottée sur le marché chinois par plusieurs distributeurs.

Autre gaffe récente, celle de Burberry, accusée d'encourager le suicide après avoir présenté lors de sa collection automne-hiver 2019/20 un sweat-shirt avec un nœud coulant, façon corde de pendu, à la place des classiques cordons pour fermer son col. Le directeur général Marco Gobbetti est monté personnellement au créneau, se disant « profondément désolé pour le malaise provoqué » par ce produit, assurant qu'il ne serait pas commercialisé.

Les réseaux sociaux, un verrou à la créativité ?
 
La caisse de résonance créée par Internet et les réseaux sociaux se dresse de plus en plus en censeur face aux maisons. Un phénomène qui interroge sur la création et son champ d’action aujourd’hui, au-delà du débat sur la diversité. « Je ne pense pas qu’il y ait moins de liberté dans la création. Mais elle fait l’objet de beaucoup plus d’attention car le monde de la mode est devenu global », estime Riccardo Grassi, propriétaire d’un des plus grands showrooms de Milan.

« Tout doit être désormais pris en compte, religions, genres, appartenances culturelles, bien-être animal, etc. Du coup, les créateurs peuvent se sentir d’une certaine manière avec un fusil pointé sur leur tête. La plupart des créations sont réalisées sans vraiment penser à l’effet qu’elles provoqueront. Certaines réactions me semblent parfois exagérées. Après tout, ce ne sont que des vêtements », glisse-t-il.
 
Stefano Martinetto, fondateur de la plateforme Tomorrow London Holdings, renchérit : « Cela fait 27 ans que je travaille dans la mode et je pense que, comme dans tous les secteurs, il faut un certain équilibre. D’un côté, l’utilisation des réseaux sociaux est très positive car les gens ne peuvent plus faire n’importe quoi comme avant. Cela a permis de mettre fin à plusieurs dérives. De l’autre, Internet donne un pouvoir hors norme à toute personne, qui pour une raison ou une autre peut se servir de cet instrument pour ruiner une entreprise ou un créateur. »
 

La corde de pendue mise à l'index chez Burberry - © PixelFormula


« Nous sommes dans un système de communication où la quête aux informations les plus scandaleuses et attirant le plus d’attention s’est accélérée. D’un autre côté, les critiques se sont cristallisées de la part de plusieurs communautés contre l’appropriation culturelle par les griffes occidentales. Le risque est que ces phénomènes bloquent la créativité. Il ne doivent pas le faire, mais susciter un dialogue », analyse Linda Loppa, qui dirige depuis 2016 la plateforme Stratégie et Vision de l’école de mode florentine Polimoda.

« D’autre part, il faut souligner que les maisons de luxe sont devenues globales et ne connaissent plus leur clientèle. Avec leur vision profondément occidentale, elles ont visé pendant des décennies des Européens blancs bourgeois et catholiques, alors qu’aujourd’hui elles s’adressent à toutes sortes de cultures », rappelle-t-elle.

A la suite de l’épisode "blackface", la créatrice Miuccia Prada s’est notamment exprimée sur ce sujet. « Je pense de plus en plus que tout ce que l'on fait aujourd'hui peut choquer et être offensif. Cela peut être parfois à cause d’un manque de générosité, mais d'un autre côté, comment pouvons-nous connaître toutes les cultures ? Les Chinois protestent, puis les Sikhs, puis les Mexicains, puis les Afro-Américains. Mais comment pouvez-vous connaître aussi bien les détails de chaque culture, quand il peut y avoir 100 cultures différentes dans chaque pays ? », s’interrogeait-elle dans un entretien au magazine américain WWD.

Virgil Abloh, unique designer noir aux commandes d'un géant du luxe mondial

Non seulement les marques s’adressent à des publics et cultures multiples, mais « elles sont en train de réaliser qu’elles deviennent elles-mêmes des objets culturels », selon Michael Jaïs. D’où l’importance pour l’industrie du luxe de se rapprocher au plus près des communautés et de s’ouvrir à leurs différents univers artistiques. « La nomination de Virgil Abloh, Américain né de parents ghanéens, à la tête des collections masculines de Louis Vuitton n’est pas neutre », souligne-t-il.

Seul créateur noir actuellement à la tête d’une marque de luxe mondiale, ce DJ-designer touche-à-tout, qui a grandi avec le hip-hop et le streetwear et dont le compte Instagram compte 3,7 millions d’abonnés, semble l’ambassadeur idéal pour dialoguer avec les jeunes générations. Ces mêmes millennials qui représentent aujourd’hui 45 % de la clientèle des marques de luxe en termes de nombre de clients et 25 à 30 % en termes de volumes d'achats.
 

Virgil Abloh, emblème de la diversité et de la culture jeune, lors de son dernier défilé pour Louis Vuitton en janvier - © PixelFormula


« Pour toucher cette clientèle, les maisons se sont d’abord appuyées sur les influenceurs et autres blogueurs afin qu’ils gèrent la proximité à leur place. Mais ces intermédiaires ont fini par leur voler leur clientèle. Pour embarquer les millennials, les maisons créent désormais leur propre culture à travers le jeu des cocréations d’objets culturels, comme Calvin Klein qui est en train de remplacer ses publicités par des productions vidéo de groupes rock, ou en préemptant des talents artistiques. Certaines marques sont en train de développer aussi leurs propres séries », indique Michael Jaïs.
 
« Ces nouvelles générations sont prêtes à donner beaucoup aux marques de luxe, mais elles sont aussi très exigeantes. Ce qui est en jeu, ce n’est pas juste l’achat d’un produit, mais un vrai lifestyle. Or la clientèle du luxe est devenue tellement multiple et diverse que les maisons n’ont plus le choix. Elles doivent s’équiper face à une nouvelle segmentation de clients en prenant compte de multiples éléments, telle la parité, l’inclusivité, la mixité, etc. et en créant une véritable culture de marque », conclut-il.
 
Ce n’est pas un hasard non plus si les investisseurs regardent désormais de plus en plus près les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) adoptés par les entreprises, spécialement dans le secteur du luxe et de la mode, où l’image et la réputation ont un poids inestimable. A ce titre, une gouvernance plus ouverte, paritaire et transparente permet de consolider la réputation d’une marque, de réduire ses risques, tout en constituant un levier de croissance.
 

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