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03.04.2020
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Comment jeunes marques et créateurs se préparent à l’après-crise

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03.04.2020

La pandémie du coronavirus bouleverse en profondeur le marché de la mode, des groupes les plus solides aux jeunes créateurs. Ces derniers, en particulier, sont en train de se réinventer pour faire face à cette crise inédite, en remettant en cause un système qu’ils jugent tous dépassé. Au-delà de l’émergence économique, comme ils l’ont expliquée à FashionNetwork.com dans la première partie de cette enquête, le tsunami provoqué par le Covid-19 s’accompagne aussi de nombreux questionnements, qui auront des répercussions sur la manière de créer. De Paris à Milan, les designers prennent la parole pour partager leurs expériences et nous dire comment ils voient l’avenir.
 

Un modèle de la jeune créatrice française - Coralie Marabelle


Chute drastique des commandes, âpres négociations avec les distributeurs, asphyxie financière, problèmes inextricables de production… Même si plusieurs designers peuvent compter en temps normal sur des consultations externes pour se financer, la situation a désormais changé la donne, poussant chacun à s’adapter à travers toutes sortes de stratégies.

Pour la saison à venir, Arthur Avellano va mettre par exemple l’accent "sur les accessoires et les pièces faciles, ainsi que sur un système de pré-commandes". "Je ne peux investir sur une collection de 40 looks", lâche-t-il. Il veut profiter aussi de ce confinement forcé pour "remettre tout à plat et restructurer son entreprise".

C’est également la démarche adoptée par Coralie Marabelle, qui parle "d’une année de transition". Elle a intégré depuis octobre le programme "Talents" de la Fédération française du prêt-à-porter féminin et partage son temps entre sessions de soutien avec des experts et la réorganisation de son activité. "Je profite de ce temps de ralentissement pour prendre de l’avance et faire tout ce que je n’avais pas le temps de faire auparavant, comme m’occuper de la communication, réfléchir à ce qui ne fonctionne pas, etc. De la contrainte naît la créativité. Il faut en profiter pour trouver d’autres moyens de rebondir", note-t-elle.
 

"Cela nous force à travailler et penser de manière plus responsable"



Philippe Périssé, qui a lancé sa marque de prêt-à-porter en 2014 et ouvert une boutique à Paris fin 2018 est sur la même longueur d’onde : "Le côté positif de ce cauchemar, c’est que cela nous challenge nous obligeant à revoir le fonctionnement de notre entreprise, son activité, l’offre à travers une répartition différente. C’est un vrai temps de réflexion, bizarrement enrichissant. Je dessine la nouvelle collection, même si ce sera dur de la financer. Ce sera le système D, en piochant dans mes stocks de matières. Mais il faut continuer à surprendre."
 
Alexandre Blanc a créé sa propre marque depuis un an. Il veut profiter lui aussi de ce moment pour repenser son modèle. "Ce que je prône, c’est de devenir de plus en plus local. Plusieurs solutions sont possibles. On peut imaginer partir sur cinq looks vraiment bien définis, proposés en précommandes pour être produits autour de 40 exemplaires avec une usine qui joue le jeu", réfléchit-il. "Autre possibilité, je regarde ce que je peux faire avec ma trésorerie pour produire juste quelques pièces en une cinquantaine d’exemplaires et je raconte mon histoire autour de deux looks. C’est une démarche intéressante, car cela nous force à travailler et penser de manière plus responsable", analyse-t-il.

Pour la petite structure d’Ester Manas, marque inclusive déclinant tous ses modèles dans une taille unique destinée à tous les gabarits, lancée fin 2018 par la styliste éponyme et Balthazar Delepierre, ce confinement forcé a été mis au service de la création pure, comme l’illustre ce dernier : "Il n’y a plus d’urgences. Du coup, nous avons beaucoup de temps pour réfléchir et dessiner. On ne s’attendait pas à vivre un tel moment créatif. On s’amuse beaucoup, on a l’impression d’être redevenus étudiants."


Marco Rambaldi veut produire moins, mais mieux - © PixelFormula


D’autres ont redéfini leurs process, comme le label du styliste chinois Dawei Sun, habitué des podiums parisiens. "Créativité et agilité en permanence sont nos deux mots d’ordre. Nous avons inventé une nouvelle manière de travailler en adoptant notre plan de collection. Pour la resort 2021, nous n’allons pas suivre le merchandising classique avec 40 références, mais plutôt raisonner en termes de silhouettes autour de 15 looks, en cherchant à définir le best of de Dawei, ce qui nous représente le mieux. Nous allons travailler à partir des matières déjà existantes chez nous ou chez nos fournisseurs", explique la directrice générale Laura Guillermin. "Nous allons par ailleurs accélérer le développement de notre site marchand. L’idée est d’anticiper à septembre son lancement, qui était initialement prévu pour janvier 2021."
 
Avoir une boutique virtuelle en propre se révèle un élément incontournable pour ces jeunes designers, dont la majorité en était encore dépourvue. Pour Victoria/Tomas, qui défile à Paris depuis 2017, tout était prêt et prévu pour fin février. La marque espère pouvoir enfin lancer son e-shop en avril. En revanche, il ne lui sera pas possible de réaliser la collection resort, faute de tissus, tout étant bloqué chez ses fournisseurs en Italie.
 
"On va passer à l’e-commerce à marche forcée. Je ne l’avais pas, mais je suis en train d’adapter mon modèle sur un système de pré-commandes pour faire produire des séries limitées à raison de trois pièces par mois", renchérit Philippe Périssé, en notant qu’aujourd’hui "cela ne fait pas de sens de produire des stocks". En attendant, il s’apprête à lancer une campagne de crowdfunding pour financer la production de trois tee-shirts de sa nouvelle collection et "toucher un public plus large".
 
L’outil numérique est également devenu indispensable pour organiser le travail à distance. "L’autre jour, nous avons effectué un fitting via skype", raconte le designer Daniele Calcaterra, qui défile à Milan depuis 2017 avec sa marque Calcaterra, et vit sur le lac de Garde, non loin de Brescia, l’une des villes lombardes les plus touchées par l’épidémie de coronavirus. "J’avais le mannequin à Bologne, qui essayait les vêtements, les modélistes chez elles, à Brescia, le directeur commercial en Suisse ! Pour nous, cette période est habituellement consacrée au dessin. Je travaille de la maison, en essayant de prendre un maximum d’avance."
 
"Là, il faut dessiner, communiquer, préparer la suite. Cette situation insolite permet de faire tout un travail de fond, auquel nous n’avons pas le temps de nous consacrer en temps normal. Être obligé de travailler à distance, et se rendre compte que c’est possible, est très intéressant aussi. D’habitude dans la mode, cela ne se fait pas. Je pense que cela va changer notre manière de travailler", estime Coralie Marabelle.
 
La jeune styliste est persuadée, comme la plupart de ses collègues, que cette crise va provoquer "un grand changement". "Ce qui se passe, c’est très violent. Je pense qu’on n’en évalue pas du tout les conséquences. Cela va pousser la mode à revenir à plus de bon sens, d’engagement, de respect pour l’humain et la planète et faire réfléchir les consommateurs", veut-elle croire. "Avec la fast-fashion, les personnes n’ont plus la notion de la valeur réelle du vêtement et tout ce qu’il y a derrière sa fabrication. Acheter un habit à 10 euros, ce n’est pas normal."
 
 

Daniele Calcaterra, qui a défilé en février à Milan, prône un retour au concret - © PixelFormula

 
Daniele Calcaterra lui emboîte le pas : "Nous n’avions pas besoin du coronavirus pour nous demander jusqu’où on en était arrivé avec les excès de l’actuel système de la mode. L’avalanche de produits sur le marché, qui finissent par alimenter les outlets, appelle à une très grande réflexion. Nous devons tous redevenir plus concrets". "Nous sommes tous sur la même planète et dans la même histoire. Les questionnements que se posait la mode depuis quelque temps sont plus que jamais d’actualité. Est-ce que cela a encore un sens de déplacer 1 500 personnes d’un bout à l’autre du globe pour assister à un défilé de 15 minutes ?", s’interroge Laura Guillermin.
 
"Nous allions dans une direction trop frénétique", appuie le jeune designer italien Marco Rambaldi. "De notre côté, nous mettons à profit cette période pour mieux réfléchir, en nous concentrant sur l’essentiel et la qualité, avec des pièces plus étudiées. Faire moins, mais mieux." Même son de cloche chez Alexandre Blanc : "L’enjeu de demain sera de rentrer un peu plus dans le détail. Après la culture de l’image, qui s’est imposée ces dernières années, il faut revenir à un peu plus de connaissances dans le détail. Les clients continueront d’acheter en ligne, mais ils s’attendront à recevoir un produit irréprochable."
 
"Ces dernières années, nous avons été amenés à multiplier les déclinaisons du produit. On lançait les tissus pour la prochaine collection, sans même avoir fini la précédente. Mais qu’est-ce que la base du métier, dans le fond ? Travailler autour d’un tissu, développer un jacquard. On n’a pas besoin de plus. Une robe suffit pour raconter une histoire", observe-t-il.
 

"C’est le redémarrage, qui devra être dynamique"



Ces réflexions en resteront-elles au stade des bonnes paroles ou vont-elles se concrétiser à travers de nouveaux comportements et un réel changement de la part du marché ? L’avenir le dira. En attendant, la prise de conscience collective engendrée par cet arrêt quasi total des activités laissera certainement des traces. Et il sera intéressant de voir les collections de l'été 2021 créées dans une telle émergence.

Reste que la reprise post-crise est plutôt perçue avec angoisse par ces petites marques créateur. "Sur le court terme, c’est inquiétant. Mais si l’on se projette sur le long terme, avec les probables bouleversements induits par cette crise, cela ne devrait pas être si mal", espère Alexandre Blanc.
 
"L’impact du coronavirus a touché toute la filière française. Avec les Gilets jaunes et les grèves, cela fait un an et demi que nous sommes en mode survie. Mais nous sommes tous logés à la même enseigne, les grands groupes ont quant à eux d’importantes masses salariales à gérer. C’est le redémarrage, qui devra être dynamique. C’est là que les institutions et le gouvernement devront faire preuve de flexibilité", conclut Philippe Périssé.

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