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Clémentine Martin
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26.03.2020
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Alibaba : chez Lazada, les mesures liées au coronavirus révèlent un choc des cultures

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Reuters API
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Clémentine Martin
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26.03.2020

Lazada est la filiale en Asie du Sud-Est d’Alibaba Group Holding. Soumis à des contrôles de santé et des mesures de prévention de l’épidémie de coronavirus jugées trop invasives, ses travailleurs sont furieux et leur conflit de longue date avec la direction en Chine ne cesse de s’amplifier.


Reuters


Lazada est implantée à Singapour. Depuis février, l’entreprise demande à tous ses employés de répondre chaque jour à des questionnaires détaillés concernant leur santé et leurs derniers déplacements, selon cinq personnes familières du problème.

La société spécialisée dans le e-commerce affirme que les questionnaires de santé ne sont pas obligatoires, mais les employés reçoivent toutefois fréquemment des appels du service de ressources humaines pour s’assurer que les rapports complétés sont bien envoyés. Selon les sources, ces appels téléphoniques peuvent même avoir lieu le week-end.

Lazada a aussi décidé de faire porter des marques à ses employés de Singapour, contrairement aux instructions des autorités locales, et envisage de leur imposer d’éviter d’assister à des regroupements religieux, soutiennent-ils. D’après les cinq employés, la colère gronde au sein des troupes. Ils n’ont accepté de détailler ces mesures à Reuters que sous couvert d’anonymat, par crainte de représailles. Trois d’entre eux ont pu fournir un exemplaire du questionnaire de santé qu’ils doivent compléter.

Ce type de mesures n’est pas inhabituel en Chine. Le pays n’a pas hésité à imposer des règles draconiennes pour enrayer la propagation du virus. Mais pour les équipes de Lazada dans plusieurs pays comme l’Indonésie, les Philippines et la Thaïlande, elles sont avant tout perçues comme une intrusion dans la vie privée.

Ce conflit illustre bien la difficulté pour Alibaba de faire accepter certaines de ses pratiques commerciales à l’étranger, ce qui pourrait mettre en danger les ambitions internationales du géant chinois. Mais ces faits sont aussi révélateurs des tensions pouvant émerger dans des entreprises internationales confrontées à la crise du virus.

« Comment l’entreprise utilise-t-elle les informations qu’elle collecte quotidiennement ? Personne ne peut l’expliquer », regrette l’un des employés, qui craint que Lazada ne soit tenté de transmettre ces données aux gouvernements.

Magnus Ekbom, le directeur de la stratégie chez Lazada, affirme ne pas avoir constaté de mécontentement de la part des employés face à ces mesures. C’est ce qu’il explique dans un communiqué à Reuters. « La priorité de Lazada est clairement de protéger le bien-être de notre équipe et de la communauté qui nous entoure », revendique le communiqué. « Notre approche suit les recommandations données par plusieurs gouvernements dans des pays où nous sommes présents. »

Mais d’après certaines sources, il ne s’agit que d’un épisode de plus dans la lutte menée par Alibaba pour contrôler complètement Lazada. Le mastodonte chinois possède aujourd’hui 90 % de l’entreprise et y a déjà investi 3 milliards de dollars (2,76 milliards d’euros) depuis 2016. Le moral des troupes est apparemment en chute libre.

Quand Alibaba a commencé à s’intéresser à Lazada, elle était la principale entreprise de e-commerce d’Asie du Sud-Est. Mais cette position dominante est aujourd’hui remise en question et ses rivaux ont apparemment réussi à la doubler. Le marché est pourtant en croissance rapide, et représente déjà 650 millions de consommateurs dans six pays, selon des études de marché.

La thèse de conflits répétés entre les employés et la direction tend à être confirmée par le fait que plusieurs dirigeants d’Alibaba mutés chez Lazada ont rapidement jeté l’éponge. Le dernier coprésident a d’ailleurs quitté l’entreprise en janvier après moins de 18 mois à son poste. « Certains dirigeants d’Alibaba dépêchés chez Lazada ont une tendance naturelle à imposer que les choses soient faites comme chez Alibaba, parce que ces méthodes ont fonctionné en Chine », explique Jianggan Li, le fondateur de la firme d’investissement Momentum Works, basée à Singapour. « Beaucoup d’entre eux ont tendance à manquer de respect envers leur marché, et de patience pour le comprendre profondément », affirme-t-il. Selon lui, les efforts d’Alibaba pour se développer à l’étranger n’en sont qu’à leurs débuts et le géant de la technologie est sûrement disposé à apprendre de ses erreurs.

Alibaba a refusé de s’exprimer à propos des problèmes chez Lazada pour cet article.

La révolte gronde



Selon les sources de Reuters, de nombreux employés ont fait part de leurs préoccupations aux directeurs lors de réunions, dans des e-mails ou des messages sur DingTalk, une application développée par Alibaba pour permettre aux dirigeants de surveiller en permanence l’évolution des statistiques de leurs équipes.

Le port du masque imposé aux employés au siège social de Singapour a suscité de nombreuses plaintes, car cette mesure est contraire aux instructions des autorités locales, qui ne recommandent de porter un masque qu’aux malades. « Les gens ne savent plus quoi penser. Si la direction pense que travailler au bureau est vraiment dangereux, alors on devrait nous demander de travailler de la maison », expose un employé à Reuters.

Certains dirigeants chinois ont apparemment évoqué la possibilité de demander aux employés de réduire leurs activités sociales, dont les rassemblements religieux, même si ces mesures n’ont pas été mises en place face au tollé qu’elles ont suscité, expliquent les sources.

L’opposition des employés a eu quelques résultats. Certains pays où Lazada opère, comme les Philippines, ont des lois de protection de la vie privée plus strictes que la Chine. Le 10 mars, Lazada a ajouté un paragraphe à propos de la protection de la vie privée aux conditions générales de son programme de surveillance médicale. « Toues les données personnelles collectées dans le cadre du programme de vigilance sanitaire seront traitées en conformité avec les lois de protection des données personnelles locales », prévoit une nouvelle version que Reuters a pu consulter.
 
Selon les sources, les dirigeants senior de Lazada venus de Chine ont souvent tendance à imposer trop rapidement des mesures ayant fait leurs preuves sur le marché de Chine continentale sans se préoccuper des paramètres locaux ou des sensibilités des différents marchés d’Asie du Sud-Est, pourtant très fragmentés.

Parmi certaines de ces décisions stratégiques malheureuses, on peut notamment citer des interruptions temporaires de la livraison gratuite pour certains marchés, qui ont conduit les acheteurs à se tourner vers d’autres sites, mais aussi des tentatives d’encourager les achats de masse, affirment les sources. Ces erreurs, ainsi que la tendance des dirigeants chinois à écarter leurs homologues locaux des réunions essentielles, ont eu un impact négatif sur l’activité de Lazada et sur le moral des troupes.

Conflits et départs



Sur le site de recherche d’emploi Glassdoor, les opinions anonymes des employés sont généralement très critiques. Parmi les opinions positives, plusieurs ont apparemment été écrites à la demande expresse du PDG de Lazada Pierre Poignant. Lazada n’a pas contacté Reuters pour démentir ces informations.

L’année dernière, le e-commerce pesait déjà 38 milliards de dollars (35,14 milliards d’euros) dans la région et devrait poursuivre sa progression rapide, selon une étude de Google, Temasek et Bain & Company.

Alibaba ne publie par le détail des performances financières de Lazada ni ses parts de marché, mais selon plusieurs analystes, l’entreprise arrive maintenant derrière sa rivale singapourienne Shopee, soutenue par l’ennemi juré d’Alibaba, Tencent Holdings Ltd. Fin 2019, Shopee était l’application de e-commerce la plus téléchargée et la plus utilisée dans la région, recalant Lazada à la deuxième place, selon le cabinet de recherche iPrice. Le site web de Shopee attire aussi plus de visiteurs que celui de Lazada, selon le même cabinet.

En Indonésie, la plus grosse économie de la région, Lazada arrive derrière Shopee et la plateforme locale Tokopedia, selon les analystes. Lazada conteste cette distribution des parts de marché. « Lazada a la plus grande base de consommateurs actifs dans le Sud-Est de l’Asie et continue à gagner des parts de marché », s’insurge le communiqué fourni par Magnus Ekbom, sans fournir de plus amples détails.

Selon trois des sources, les dirigeants chinois ne font souvent pas long feu. Jing Yin, un ex-coprésident de Lazada, aurait discrètement quitté le navire en janvier et regagné le siège social d’Alibaba à Hangzhou. Le directeur de l’équipe produit de Lazada, Jin Luyao, est reparti à Hangzhou en janvier après moins de 18 mois à son poste. Le PDG de l’entreprise au Vietnam, Max Zhang, a quant à lui fait ses valises mi-2019 après avoir passé un peu plus d’un an à Ho Chi Minh Ville.

Avant cela, Lucy Peng, l’une des cofondatrices d’Alibaba, avait renoncé à son poste de PDG de Lazada en 2018 après seulement neuf mois. Elle reste cependant la présidente exécutive de l’entreprise.

Jessica Liu, l’une des dirigeantes de longue date d’Alibaba, a remplacé Jing Yin. D’après ses collaborateurs, c’est une personne intelligente et au fait des problématiques du e-commerce, mais son niveau d’anglais laisse à désirer. Une lacune qui ne fait que renforcer l’impression qu’Alibaba ne comprend pas l’Asie du Sud-Est, où l’anglais est la langue dominante pour les activités commerciales, soulignent les sources.
 
Lazada et Alibaba n’ont pas souhaité demander à Jessica Liu de commenter cette information. Les tentatives de contacter Jessica Liu et d’autres dirigeants par e-mail et sur LinkedIn n’ont pas non plus porté leurs fruits.

Après de nombreux conflits et de multiples départs, les employés d’Alibaba n’ont plus très envie de rejoindre l’unité d’Asie du Sud-Est. « De nombreuses personnes à Hangzhou voient maintenant Lazada comme un trou noir pour leur carrière », explique l’une des sources.

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